Rayonnement international
Moins de 20 ans après la découverte des rayons X par Röntgen, Lyon accueille le VIIe Congrès international d’électrologie et de radiologie médicale au sein de l’exposition internationale urbaine de Lyon de 1914. L’exposition Rayons X, une autre image de la Grande Guerre (4 octobre - 23 décembre 2017, Archives municipales de Lyon) et le catalogue qui l’accompagne évoquent brièvement ce congrès qui témoigne des débuts de la radiologie : elle jouera un rôle majeur dans le diagnostic et le traitement des blessés tout au long du conflit. Au-delà de ce contexte particulier, il apparaît comme un événement charnière dans l’histoire de la discipline, à Lyon comme ailleurs.
Un congrès parmi d’autres ?
Loin d’être isolé, ce congrès prend place parmi une multitude d’événements destinés à affirmer la dimension internationale de l’exposition urbaine de Lyon. Sous le commissariat général de Jules Courmont, professeur d’hygiène à la faculté de médecine de Lyon et médecin spécialiste de la tuberculose, 79 événements sont ainsi programmés entre le 1er mai et le 1er novembre 1914. Tous les domaines sont concernés : la paix par le droit, la propriété industrielle ou encore les inventeurs. Le VIIe Congrès international d’électrologie et de radiologie médicale prend ainsi place entre le congrès de la viticulture et celui d’éducation physique !
L’organisation de tels événements, qui mobilisent des spécialistes de nombreux pays, participe largement de la stratégie internationale mise en œuvre lors de l’exposition de 1914 : elle se situe dans la continuité des visites et échanges multipliés au début du XXe siècle par la municipalité lyonnaise d’Edouard Herriot pour se forger une expertise, notamment sur l’évolution urbaine, mais aussi promouvoir Lyon et s’ériger en modèle auprès de délégations du monde entier.
Le congrès se déroule du 27 au 30 juillet 1914 à la faculté de médecine de Lyon. Soutenu comme l’ensemble des manifestations par le Gouvernement français et la Ville de Lyon, il est organisé par la Société française d’électrothérapie et de radiologie et la Société de radiologie de France. Le congrès regroupe des intervenants venus d’Europe (France, Angleterre, Pays-Bas, Italie, Espagne, Allemagne, Autriche, Suisse, Pologne), d’Afrique (Egypte, Algérie française) et d’Amérique (Etats-Unis, Argentine, Brésil).
Des équipements électro-radiologiques sont également présentés pour les participants dans le laboratoire de physique médicale de la faculté, ainsi que dans l’un des pavillons de l’exposition internationale à Gerland pour l’ensemble des visiteurs : les exposants, qui doivent être membres du congrès, font ainsi partie des quelques 12 700 exposants présents lors de l’exposition.
Dans le pavillon qui abrite la section XLII (52) dédiée à « Assistance et hôpitaux », les appareils d’électrologie et de radiologie médicale côtoient un local réservé aux expériences de radiologie, mais aussi des stands dédiés aux hôpitaux, aux bureaux de bienfaisance, aux pansements, aux instruments de chirurgie ou encore à l’art dentaire. Ce pavillon s’insère dans la thématique plus large de l’hygiène, qui comprend également l’assainissement des villes, le logement social, la protection de l’enfance, les vaccins ou encore le sport. Bien que l’exposition de 1914 soit davantage tournée vers la «cité moderne», avec de grands projets architecturaux et les prémices d’une véritable politique de la ville, l’hygiène reste en effet au cœur des préoccupations de la municipalité lyonnaise et du commissaire d’exposition Jules Courmont, qui la décline dans 31 des 67 sections présentes.
Le contexte de l’exposition internationale urbaine de Lyon de 1914 donne donc un relief particulier à ce VIIe congrès international de radiologie, en l’ancrant dans un événement qui lui donne à la fois une ampleur inédite, tout en le fondant dans la masse des autres manifestations. Son programme témoigne de l’essor fulgurant de la discipline aux veilles du conflit.
L’extension du domaine de la radiologie
Le VIIe congrès international d’électrologie et de radiologie médicale de Lyon fait suite aux congrès de Paris (1900), Berne (1902), Milan (1906), Amsterdam (1908), Barcelone (1910) et Prague (1912). Sa mise en œuvre revient au secrétaire général du congrès, Joseph Cluzet : ce Lyonnais, spécialiste d’électrodiagnostic et de physique médicale, est le correspondant privilégié du commissariat d’exposition et des différents intervenants, dont il publie les comptes rendus avant l’ouverture. Le congrès est présidé par Joseph Renaut, professeur à la faculté de médecine de Lyon, entouré d’un comité local d’organisation où l’on retrouve de nombreux médecins et professeurs lyonnais (Fabien Arcelin, Thomas Nogier, M. Chanoz), des ingénieurs des Hospices civils (Dessaint) et un industriel, Auguste Lumière.
Du 27 au 31 juillet, les congressistes partagent leur temps entre les communications et les rapports présentés dans le grand amphithéâtre de la faculté de médecine, les séances de démonstrations expérimentales des appareils installés dans le laboratoire de physique médicale et dans le pavillon de Gerland, les visites de l’exposition et enfin les réceptions et dîners. Le 1er et le 2 août, des excursions sont prévues aux sources radioactives d’Evaux-les-Bains, aux mines d’or du Châtelet et à la Grande Chartreuse. Le 3 août, la guerre est déclarée : c’est dire le contraste entre la célébration internationale d’une discipline et le surgissement d’un conflit dans lequel les congressistes se retrouvent ennemis du jour au lendemain.
La Ville de Lyon accorde une attention particulière à ce congrès, probablement parce la radiologie lyonnaise compte déjà d’éminents praticiens : elle alloue ainsi une subvention de 1 000 francs pour le prix de Barcelone, qui récompensera un membre titulaire du congrès pour l’appareil d’électro-diagnostic jugé le plus pertinent. Honneur rare au vu du nombre de congrès : le 27 juillet à 21h, Edouard Herriot accueille les congressistes à l’exposition.
Le programme témoigne d’une discipline en plein essor, dont l’étendue se décline dans le vocabulaire comme dans les pratiques : radioscopie, radiologie, radiothérapie, électroradiologie. Au cours des quatre jours, sept rapports détaillés sont présentés dont certains, concernant plus directement la radiologie, feront date :
- Moyens de protection des opérateurs contre les rayons X par le professeur Albers Schönberg (Hambourg),
- Phénomènes cutanés tardifs dus à la radiothérapie par le docteur Fabien Arcelin (Lyon),
- Effets thérapeutiques de l’émanation du radium par les professeurs Falta (Vienne) et Sommer (Zurich)
- Actions des rayons X sur la plaque photographique par le docteur Chanoz et Auguste Lumière (Lyon).
Ces rapports sont suivis de communications plus courtes, parmi lesquelles Sur l’utilisation du sélénium pour le dosage des radiations par Guilleminot (Paris), Röntgentherapy with the new Coolidge Tube par James Chase (Michigan), Radiographies en relief des os longs par Puelles (Séville) ou encore Localisation radiographique des corps étrangers par Miramond de la Roquette (Alger) : on voit tout l’intérêt de ce dernier sujet pour la localisation des éclats d’obus pendant la Première Guerre mondiale. Certains sujets ne sont pas communiqués : c’est le cas de l’intervention de Claudius Regaud pour laquelle il faudrait se reporter aux comptes rendus (non consultés). D’autres grands noms des débuts de la radiologie lyonnaise, tels Etienne Destot ou Victor Despeignes, sont absents de ce congrès mais ont peut-être été rencontrés par les congressistes lors des visites dans les hôpitaux lyonnais.
Du côté des exposants, le matériel d’électrologie et de radiologie médicale est présenté au sein de la classe 223 de la section XLII, sous l’autorité de M. Durillon à Lyon et M. Pilon à Asnières. La liste des exposants concerne l’ensemble du matériel hospitalier et en dehors des équipements d’électro-diagnostic présentés par les membres du congrès, on repère peu de fabricants spécialisés dans le matériel radiologique, comme Radiguet et Massiot ou Gaiffe-Gallot et Pilon. Ce dernier nom correspond bien à M. Pilon à Asnières, fabricant qui s’associera avec Gaiffe-Gallot à la fin de la guerre et détiendra une licence exclusive de vente des tubes de Coolidge en France.
Au final, l’ensemble du congrès témoigne à la fois d’une transition entre les usages médicaux anciens de l’électricité et les nouveaux usages liés à la découverte des rayons X et du radium. Le cas d’Arsène d’Arsonval est typique : médecin et ancien préparateur de Claude Bernard, il est l’inventeur du "résonateur d’Arsonval" qui lui permet de pratiquer l’électrothérapie à haute fréquence. En 1914, il devient l’un des trois présidents d’honneur du congrès d’électrologie et de radiologie. La radiologie s’émancipe de la physique médicale au fur et à mesure des avancées scientifiques et techniques.
Un tournant pour la discipline
Ce dernier congrès avant la Grande Guerre marque en effet un tournant dans l’évolution scientifique et technique de la radiologie. Malgré l’essor fulgurant de la discipline dès la découverte des rayons X en 1895, les équipements de la fin du XIXe siècle commencent à montrer leurs limites : conçus et utilisés dans les laboratoires de physique et chez les photographes en ce qui concerne l’image générée par le rayonnement, ils ont été adaptés tant bien que mal aux différents usages médicaux des rayons X, puis installés dans les cabinets médicaux et les hôpitaux.
Au début du XXe siècle, des ingénieurs, techniciens et médecins travaillent à s’affranchir des contraintes scientifiques et techniques des premiers équipements :
- les premiers tubes à rayons X, issus des laboratoires de physique, se révèlent peu puissants et trop fragiles pour un usage intensif en médecine : les tubes de Crookes, très répandus, s’échauffent trop et deviennent de moins en moins performants. Ils sont peu à peu améliorés, puis supplantés après-guerre par les tubes de Coolidge dans lesquels le tungstène résiste mieux au bombardement d’électrons que le platine. Avec la communication de James Chase sur les tubes de Coolidge, le congrès est donc très au fait des innovations les plus récentes, qui assureront la domination des Etats-Unis dans ce domaine à l’issue du conflit ;
- les premiers générateurs à haute tension sont issus des travaux sur l’électrostatique et l’électrothérapie : si les machines de Ramsden, de Carré, de Holtz ou de Wimshurst produisent une haute tension suffisante de l’ordre de 40 000 volts, elles résistent mal à une utilisation prolongée, alors que les installations électriques n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Elles sont bientôt remplacées par des générateurs basés sur l’induction, tels que les bobines de Ruhmkorff et de Rochefort, auxquels on ajoute des éléments comme la soupape de Villard pour redresser le courant et doubler la tension. Dès 1904 et sous l’impulsion de d’Arsonval et de Gaiffe, des pupitres de commande regroupent l’ensemble du matériel pour produire la haute tension : ils sont appelés crédences du fait de leur ressemblance avec le meuble. Ce type de générateur et de crédence fait partie de l'ensemble de radiologie, déposé par les HCL au musée des Confluences dans l'exposition Espèces ;
- le traitement des images issues du rayonnement bénéficie lui aussi d’avancées technologiques : il s’agit d’améliorer et d’étendre la surface sensible des plaques de verre et de pallier les défauts liés à des rayonnements secondaires. Pendant le conflit, les hôpitaux lyonnais bénéficient de la proximité des frères Lumière, qui donnent des milliers de plaques photographiques pour les examens radiologiques.
Conclusion
Dans l’introduction de l’ouvrage Lyon ville internationale , Renaud Payre rappelle que « l’Expo 1914 reste à bien des égards le symbole d’un passage d’un monde à l’autre » : c’est également un moment charnière pour la radiologie qui bénéficie de nombreuses innovations à la veille du conflit, puis change d’échelle et de perspective à l’issue de la Grande Guerre. L’exploration du corps humain par l’imagerie médicale a prouvé, de manière douloureuse mais incontestable, toute sa pertinence dans l’aide au diagnostic et le traitement d’affections variées. Mieux maîtrisés à l’issue de la guerre, les rayons X dominent les technologies d’exploration jusque dans les années 1960 et restent de nos jours d’un usage courant.
Sources aux Archives de Lyon
- Exposition internationale urbaine de Lyon de 1914.- Section XLII (Assistance et hôpitaux), organisation générale : plan (1914, 782WP/35/3).
- Congrès d’électrologie et radiologie médicale : correspondance, télégrammes (1914, 782WP/73/1).
- COLL., 1er mai-1er novembre 1914 - Exposition internationale urbaine de Lyon, catalogue général officiel , Lyon, 1914, p. 350-362 (cote AML : 1C/5837).
Bibliographie sélective
- AMIEL Michel, CHASSARD Jean-Louis, MORNEX René, Histoire de rayons X , Lyon, HCL, collections Science et Histoire, 2007. - BRINNEL Heiner, "Les innovations rayonnantes", in Les Cahiers du musée des Confluences, volume 7 : innovation, Lyon, musée des Confluences, p. 141-158. - CLUZET Joseph, Comptes rendus des séances du VIIe congrès international d'électrologie et de radiologie médicale : Lyon, 27-31 juillet 1914, Lyon, A. Rey, 1916, 512 p.
- COLL ., Rayons X, une autre image de la Grande Guerre, Lyon, Libel, 2017, 160 p.
- PAYRE Renaud (Dir.), Lyon, ville internationale – La Métropole lyonnaise à l’assaut de la scène internationale, 1914-2003, Lyon, Libel, 2013, 288 p.