Georges Cohendy (1886 - 1985)
Maire de Lyon du 20 septembre 1940 au 19 juin 1941
Georges Cohendy est né le 15 juin 1886 au domicile familial 98 rue de l’Hôtel de Ville (Lyon 2e), de Joseph Marie Émile Cohendy, professeur à la faculté de droit à Lyon, et Anne Augustine Louise Marthe Sarrazin, sans profession.
Il épouse Marie Antoinette Rollet, fille et petite-fille de médecin, le 15 juin 1912 à Saint-Pierre-la-Noaille (Loire). Ils comptent parmi leurs témoins un certain Alexandre Lacassagne, oncle de la mariée et médecin de renom, et un certain Justin Godart, beau-frère de Gorges Cohendy et maire de Lyon à la Libération.
Ils ont deux filles, Marie et Georgette, et un fils, Pierre, avocat, père de François, journaliste au Progrès et critique de cinéma.
Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il part à l’état-major du front en Champagne.
Il meurt à son domicile 46 quai Saint-Vincent (Lyon 1er) le 4 mai 1985. Ses obsèques sont célébrées le 7 mai 1985 en l’église Saint-Vincent (Lyon 1er). Il est inhumé aux côtés de son épouse au cimetière de Saint-Didier-au-Mont-d’Or.
Une carrière de juriste
Il suit des études au Lycée Ampère puis à la faculté de droit de Lyon.
Il s’inscrit au barreau de Lyon en 1910 après avoir soutenu une thèse en sciences juridiques. Deux ans plus tard, il soutient une seconde thèse, en sciences politiques et économiques et sciences criminelles.
À la fin de la Grande Guerre, il reprend ses fonctions de directeur de conférence à la faculté. Il obtient l’agrégation de droit privé en 1920 et est affecté à la faculté de droit de Lyon, succédant à son père à la chaire de droit commercial.
Il mène en parallèle une carrière d’avocat. Pendant l’Occupation, il défend plusieurs Résistants devant les tribunaux, lui-même ayant été membre du mouvement de résistance Le Coq Enchaîné. Il est notamment chargé de la défense de membres du mouvement Combat en octobre 1942.
Une carrière politique
Il devient dans les années vingt l’un des chefs de file du Parti radical. Élu conseiller municipal en 1931, il est nommé Premier adjoint du Maire Édouard Herriot en 1935.
Juillet 1940. Après la première occupation de la Ville par l’armée nazie, le Conseil municipal est suspendu et Édouard Herriot, destitué. C’est Georges Cohendy qui est alors choisi par Philippe Pétain, chef de l’État français, le 20 septembre 1940, pour présider la Délégation spéciale chargée de gérer la Ville. Il est installé le 25.
Mais, jugé trop démocrate, il est renvoyé le 2 juillet 1941, ce qui met fin à sa vie politique.
18 jours dans la tourmente
Mais revenons sur cette occupation allemande… Le 29 février 1961, Georges Cohendy prononce un discours à l’Académie des Sciences, belles-lettres et arts de Lyon. Le sujet ? « Souvenirs d’un otage ». Il y relate « sous une forme anecdotique et […] pittoresque […] ce qui s’est passé d’assez marquant au moment de l’invasion allemande ”.
Morceaux choisis, à compléter avec l'article rédigé par Anne Forest, archiviste, sur le blog Histoires lyonnaises.
En ce dramatique mois de juin 1940 que nous allons évoquer, j’avais la charge d’administrer la Ville de Lyon. Car son Maire Mr E. Herriot, en sa qualité de Président de la Chambre, ne pouvait quitter le gouvernement : il obtint d’ailleurs de ce dernier une décision capitale en faveur de notre ville, qui fut déclarée « ville ouverte “, deux jours avant l’arrivée de l’armée allemande.
Ce fut le 19 juin 1940 que l’armée allemande entra à Lyon et désigna ses otages.
Dès le 15 juin, […] le Préfet et moi-même organisâmes les mesures d’évacuation de tous les enfants de l’agglomération lyonnaise.
Il fallait aussi éviter que l’armée allemande ne trouvât des approvisionnements qui lui étaient utiles et se ravitaillât aisément à nos dépens.
Tous les stocks de denrées alimentaires que possédaient les collectivités et les particuliers ont été dispersés hors de Lyon.
Quant aux stocks d’essence […] il nous a fallu, la mort dans l’âme, nous résoudre à les faire disparaître.
Il était nécessaire aussi de faire disparaître tous les documents qui devaient être soustraits à la connaissance des allemands, ainsi que tous les écrits ou affiches injurieux pour les futurs occupants.
Aussi les chaudières de la Préfecture et de l’Hotel de Ville ont-elles fonctionné à plein en cet étouffant mois de juin : nous prîmes là un véritable bain de vapeur.
Nous arrivons ainsi au 19 juin, jour douloureux où devait être occupée la Ville de Lyon.
À 14 heures 30, le Préfet me fait l’honneur de m’envoyer comme parlementaire pour attendre l’armée allemande à la limite du territoire de Lyon et prendre toutes dispositions avec son chef.
Je garantis [au commandant des troupes allemandes] qu’aucun acte de guerre ne se produirait à Lyon méme, que je le guiderais dans la Ville jusqu’à la Préfecture, mon auto le précédant de dix mètres et restant à portée de ses mitrailleuses pour lui permettre d’exercer toutes représailles qu’il voudrait.
Dans ce trajet […], au moment où ma voiture tournait sur le boulevard de la Croix-Rousse, à une vitesse de 10 à 15 Kilom. à l’heure, un conseiller municipal, qui se trouvait là, m’apostropha : « Alors, on se promène tout doucement dans mon arrondissement » ? Je lui répondis « Drôle de promenade, regardez un peu derrière moi ». Mon pauvre collègue, frappé de stupeur, en a failli s’effondrer.
C’est vers 16 heures que les troupes allemandes pénétrèrent dans le cabinet du Préfet, mitraillettes et révolvers au poing.
Les allemands indiquèrent la liste des otages qu’ils désignaient et auxquels ils interdisaient de quitter la Préfecture.
Il s’agissait du Préfet Bollaert, du cardinal Gerlier, de Paul Charbin, président de la Chambre de Commerce, de Vicaire représentant des anciens Combattants, de Vivier-Merle, secrétaire des syndicats ouvriers et de moi-même en tant que représentant de la Ville.
Le ton du commandant allemand était assez rogue. Mais il fut très vite amené à plus de courtoisie par une réflexion hautaine du cardinal Gerlier.
Comme celui-ci demandait de se rendre quelques instants à l’Archevêché pour y prendre des dispositions urgentes, le commandant allemand mit en doute sa promesse de retour. Le Cardinal lui répondit : « J’estime que la parole d’un Cardinal français vaut bien celle d’un officier allemand ! » Ce dernier s’inclina et changea de ton désormais.
Le retour du Cardinal Gerlier fut d’ailleurs retardé en raison d’un embouteillage monstre.
Une colonne venant de Champagne suivait la rive droite de la Saône. Lorsqu’elle arriva à la hauteur de St Paul, son chef demanda à un jeune garçon français la route la plus commode pour gagner le Sud. Le gavroche lui indiqua innocemment que, pour éviter toute la traversée de la ville, il lui fallait emprunter la montée St Barthélémy.
La colonne motorisée s’y engagea. Mais, arrivée aux Minimes, elle se rendit compte de la supercherie. Il fallut faire machine arrière : d’où un désordre indescriptible.
Mais revenons à notre situation d’otage.
Nous étions gardés à vue dans une prison dorée, celle de la Préfecture, où j’occupais une chambre en compagnie de Mr Paul Charbin.
En ce qui concerne l’administration de la Ville, il fallait sauvegarder les intérêts moraux et matériels de nos concitoyens.
Mais nous nous trouvions sous l’autorité d’une force d’occupation rigide que nous ne pouvions heurter de front et avec laquelle nous n’avions que la ressource de louvoyer, de ruser.
Un officier me demanda de lui faire examiner le balcon de l’Hôtel de Ville, car les occupants envisageaient de faire une réunion monstre sur la place des Terreaux, afin de faire connaître au peuple lyonnais assemblé les beautés du régime nazi.
Il me fallait à tout prix éviter une manifestation aussi humiliante. Je me souvins que le pied du cheval d’Henri IV s’était détaché il y a quelques années et était tombé sur la place des Terreaux.
Aussi, lorsque nous fûmes dans le grand salon de l’Hôtel de Ville, je m’opposais à ce que l’officier passe sur le balcon. Je lui indiquais que le pied du cheval et la botte du cavalier étaient récemment tombés et que le reste menaçait de suivre d’un moment à l’autre : car cette façade était atteinte du cancer de la pierre et il était interdit à quiconque de passer sur le balcon avant de sérieuses réparations.
Mais je sentis [l’officier] impressionné par ce « cancer de la pierre ».
Cette crainte porta sans doute ses fruits et la manifestation, qui aurait été si blessante pour nous, fut abandonnée.
Bref, en utilisant ces détours, moyens sans doute mineurs, mais efficaces, nous parvînmes, sans accident sinon sans incident, à la fin de cette première occupation militaire.
Le 6 juillet, l’armée allemande quittait notre Ville.
Personnellement, à côté de l’immense joie de voir notre Ville libérée sans drame, je ressentais une petite satisfaction intime en pensant que j’avais sur bien des points joué les allemands.
Mais je fus vite ramené à plus d’humilité. J’avais eu en effet l’occasion d’avoir plusieurs entrevues avec le général Heinrich, commandant des troupes d’occupation. […] Le général était assisté d’un interprète, qui traduisait lentement chacune de mes paroles.
Quelques jours après le départ des allemands, je suis allé par hasard chez un coiffeur. […] Le patron me reconnut et m’apprit qu’il avait dû tous les jours raser le général Heinrich.
Je lui répondis qu’au moins il n’avait pas eu l’ennui d’entretenir une conversation avec cet officier qui ne savait pas un mot de français. Surprise du coiffeur, qui me dit que son ex-client parlait notre langue avec une aisance parfaite.
J’ai compris alors, un peu tard, que ce général se donnait le temps de la réflexion pendant les simulacres de traduction de son interprête. Cette fois-ci, c’est bien moi qui avais été joué !
Voilà les quelques souvenirs dramatiques ou plaisants qui sont demeurés dans ma mémoire.
Mais aussi…
Georges Cohendy fut également :
- Chargé de mission à la faculté de droit de Beyrouth
- Commandeur de l’Ordre national du mérite (1971)
- Chevalier (1936) puis Officier (1953) de la Légion d’honneur
- Commandeur de l’Instruction publique
- Bâtonnier de l’Ordre des avocats élu en 1949-1950
- Directeur de la Revue des Sociétés en 1925
- Élu à l’Académie des Sciences, belles-lettres et arts de Lyon le 13 décembre 1960 (il en devient président en 1968)
- Membre du conseil de La Martinière
- Administrateur de la Société d’enseignement professionnel du Rhône
- Président-fondateur de l’association Sauvegarde et embellissement de Lyon (1975-1983)
- Créateur de la Maison des avocats
- Bienfaiteur de l’asile de la Samaritaine
- Auteur de nombreuses publications
- Dans le palais de justice historique de Lyon, une salle de réunion porte son nom.
- Juillet 1997 : deux plaques sont apposées à la mémoire de Georges Cohendy et Justin Godart sur la façade du 46 quai Saint-Vincent où ils vécurent l’un et l’autre.
FOREST Anne, "Juin 1940 - Regards croisés", blog Histoires lyonnaises, publié le 18/06/2021. URL : https://lyonnais.hypotheses.org/5910 [consulté le 20/10/2022]