L'urbaniste
Dans les années 50, on entreprend en France la construction de grands ensembles comme Sarcelles, sous forme de quartiers autonomes, de villes nouvelles, cherchant à inventer des collectivités locales d’un nouveau type…
A cette époque, Vaise compte de nombreuses usines et 70% des ouvriers qui y travaillent n’habitent pas le quartier, «perdant» ainsi en heures de trajet l’équivalent de 15 jours de congés supplémentaires. Plus généralement, dans cette période d’après-guerre, suite à l’exode rural, les logements manquent.
En 1948, Gagès et Grimal reçoivent mission de rechercher des sites susceptibles d’accueillir de grands ensembles d’habitations.
En juillet 1953, Cottin se voit confier par le ministère de la reconstruction et du logement l’étude d’un premier plan-masse pour le quartier dit « Du château », bientôt suivi 4 ans plus tard d’un second englobant l’ensemble de la colline.
Enfin, en 1958, Cottin et Grimal sont chargés par la SERL (Société d’Equipement du Rhône et de Lyon) de l’étude définitive de l’unité de voisinage de la Duchère.
L’idée est de construire sur la colline de La Duchère, sur les 120 hectares dédiés au projet, «un ensemble harmonieux de 5 500 logements où 20 000 personnes trouveront leur place… un quartier aussi peuplé que Villefranche», titre le quotidien l’Echo Liberté.
Le site doit donner à La Duchère son caractère. C’est une nouvelle colline, une autre Croix-Rousse ou une autre Fourvière, avec une vue imprenable sur celles-ci, sur la plaine de Vaise, sur les monts du Lyonnais... et l’ampleur du projet nécessite la destruction du château et le réaménagement du fort existant.
Le château de la Duchère, construit à flanc de coteau sur les hauteurs qui dominent à l’ouest le faubourg de Vaise, datait probablement du 14e siècle. Il fût restauré et agrandi aux 15e, 16e et 17e siècles avant d’être démoli en 1973. Cottin avait prévu de l’intégrer à l’ensemble mais on décida de le raser en raison de l’importance des frais de restauration, malgré les protestations et les polémiques.
Le fort de la Duchère (construit entre 1844 et 1951) est installé au nord du plateau de la Duchère. Il contrôlait la route de Paris passant par la Bourgogne et possédait une forme caractéristique en étoile rappelant les fortifications de Vauban.
Le fort est désaffecté en 1957, puis sert de centre de recrutement de l’armée et comme logement provisoire pour les rapatriés d’Algérie en 1960. Intégré aux projets de la cité de la Duchère, il est cédé à la Ville de Lyon et détruit, à l’exception des murs et des bastions au sein desquels un centre sportif est aménagé.
La ville nouvelle sera divisée en sous-quartiers, en unités de vie, dont le peuplement serait différencié. Ils seront reliés au centre du Plateau, que les urbanismes imaginent comme un forum, avec les services publics, un grand centre commercial, un vaste espace de rencontre.
François Régis Cottin pense disposer d’une liberté rare : «A cette époque, on pensait donner une certaine forme à la vie avec l’architecture… en forçant par exemple les gens à passer par le même escalier, ou en donnant du poids à certains bâtiments…
Je citerai l’exemple de l’église du Plateau, que j’ai mise au milieu du site, cela a d’ailleurs eu pour effet de faire hurler les Francs-Maçons».
Achevée en 1968, l’église Notre-Dame du Monde entier fait face à la tour panoramique. Elle est entourée d’un talus qui peut rappeler l’ancien fort de la Duchère et dont ne dépassent à l’extérieur que le toit et sa grande croix.
Au-dessus de grandes vitres tenues par de fines structures de béton tenant lieu de murs, le toit en forme de tente semble flotter. L’ensemble du mobilier liturgique, l’autel, le tabernacle ont également été dessinés par François-Régis Cottin ce qui accentue la cohérence et l’unité de l’édifice.
L’église Notre-Dame du Monde entier a reçu le label « Patrimoine du 20e siècle » du ministère de la Culture en 2003.
Le site de la tour panoramique était à l’origine destiné à un bâtiment administratif pour accueillir la mairie du 9e arrondissement et divers services publics. Mais le
Maire de Lyon, Louis Pradel, décide finalement d’installer la mairie à Vaise.
L’emplacement restant vacant, on décide d’y construire une tour de logements en copropriété avec des bureaux.
Haute de plus de 100 mètres, cette tour devait être un repère visuel fort dans le quartier et équilibrer par sa hauteur les volumes allongés des immeubles alentour. La réalisation en est confiée en 1962 à François-Régis Cottin.
Pour optimiser l’ensoleillement naturel, ce dernier lui donne sa forme d’étoile caractéristique. À l’intérieur, les 25 étages identiques d’un diamètre de près de 30 mètres sont modulables en plusieurs appartements de taille variable autour du noyau central où se trouvent les ascenseurs, escaliers et locaux techniques. Les travaux de construction débutent en 1969 pour s’achever en
1972.
La tour a reçu le label « Patrimoine du 20e siècle » du ministère de la Culture en 2003.
Alors qu’Edouard Herriot émettait des réserves, Louis Pradel manifeste une forte volonté de réaliser l’opération, ceci dès 1957, engageant les dépenses nécessaires. Tout au long du projet, le Maire est très présent et rien d’important n’est fait sans son approbation, la Ville intervenant même dans le nom des groupes scolaires.
En revanche, la municipalité n’a pas vraiment défini quel quartier elle voulait. Et la vie de quartier ne sera pas complètement celle que les urbanistes avaient rêvée et celle qu’ils avaient inscrite dans les volumes, elle est un compromis.
Quand les barres surgissent, elles évoquent pour les Lyonnais l’Amérique et ses gratte-ciels. D’ailleurs les rues portent des numéros, la 8e, la 25e, la 31e, la 5e, la 22e... Louis Pradel, de retour d’un séjour à New York aurait fait un parallèle audacieux entre les deux villes, et aurait imposé cette dénomination new-yorkaise aux rues de la Duchère.
Les Lyonnais, qui qualifient les immeubles de «cages à poules» jurent de ne jamais y habiter.
Les premiers Duchèrois sont soient des sinistrés de la Croix-Rousse dont la colline glisse en 1964, soit des relogés par leur employeur non loin de leur lieu de travail... ils n’ont pas choisi d’habiter là. Des gens, qui vivaient jusqu’à présent à l’horizontale, doivent désormais vivre à la verticale...
La Duchère n’a pas été construire pour les rapatriés d’Algérie mais quand un million de rapatriés entre en métropole en 1962,
La Duchère, qui est encore en chantier, a encore un potentiel de logements libres très importants. Louis Pradel réserve un tiers des logements aux rapatriés.
Pour les Français d’Algérie, la Duchère est le symbole de leur déracinement, des brumes lyonnaises, de leur dénuement. Les premiers Duchérois regrettent les rues animées du centre-ville, d’autres, qui ne voyaient jamais le soleil, apprécient la luminosité.
Le confort des logements, apparaît, à l’époque, comme extraordinaire pour ceux qui venaient de quartiers insalubres, même si les appartements de la première grand barre sont livrés sans chauffe-eau et les autres sans porte de placard. Les techniques d’industrialisation qui ont permis de construire très vite, à coût réduit, avec des éléments préfabriqués assemblés sur place comme un jeu de construction n’ont pas pris en compte l’isolation.