Sculptures du pont Lafayette
Difficile, en empruntant le pont Lafayette, de jeter un coup d’œil à ses sculptures.
Car oui, des statues en ornent les piles.
Des sculptures monumentales. Des sculptures célèbres.
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Le pont Lafayette avant le pont Lafayette
En 1828 est ouvert un premier pont entre le quai Jean Moulin (alors quai de Retz) et le quai Victor Augagneur (quai Joinville puis quai de la Guillotière) sur le Rhône. Ses charpentes reposent sur des piles et culées en maçonnerie fondées sur béton.
Durant les années de sa conception et les premières années de sa vie, le pont a connu plusieurs dénominations : il fut le pont du Concert, ou de la place du Concert, dans le prolongement de la rue du Concert (place des Cordeliers), puis le pont Charles X avant de devenir le pont Lafayette. Le 5 septembre 1829, Lafayette fait une entrée triomphale dans Lyon en empruntant le pont qui est donc rebaptisé en son honneur en 1830 ou 1831 [1].
Mais le temps a vite eu raison des techniques de construction dépassées. Fragilisé par les crues de 1840 et 1856, le pont est devenu un véritable château de cartes. 50 ans après sa construction, les charpentes sont dans un état de vétusté inquiétant pour la sécurité publique. Profitant de ce que la reconstruction de ponts sur le Rhône est inscrite dans les travaux prévus par la loi du 5 août 1879 relative au classement et à l’amélioration des voies navigables [2], la décision de reconstruire l’ouvrage est prise par le Conseil municipal le 1er février 1887 [3].
Le « nouveau » pont Lafayette
Le 23 octobre 1890 est inauguré le « nouveau » pont Lafayette : une structure métallique, des piles en pierre de Porcieu-Amblagnieu (Isère), 218 mètres de long, 20 mètres de large, une chaussée de 11 mètres, deux trottoirs de 4,50 mètres, trois arches en acier laminé, des corniches et garde-corps en fonte, des balcons en encorbellement et des balustrades en pierre de taille…
La commande du Ministre des travaux publics avait été claire :
« [Il] avait invité les ingénieurs [du service spécial de la navigation du Rhône, chargés de la présentation des projets et de l’exécution des travaux] à donner [au pont Lafayette] un caractère monumental. » [4]
Comment y parvenir ? En habillant de sculptures les quatre faces des deux piles du pont.
Les sculptures des piles du pont Lafayette
Les ingénieurs choisirent des allégories du Rhône et de la Saône :
- Le Rhône puis la Saône d’est en ouest sur le profil amont du pont,
- La Saône puis le Rhône d’ouest en est sur son profil aval.
Les allégories fluviales sculptées ne sont pas rares aujourd’hui dans la ville. On peut ainsi en rencontrer dans la cour de l’Hôtel de la Couronne (lequel héberge le Musée de l’Imprimerie et de la Communication graphique, rue de la Poulaillerie), sur les façades d’immeubles rue Président Carnot et de l’Hôtel des postes, au pied de celle du Palais de la Bourse, sur les piles du pont Kitchener-Marchand sur la Saône, sur le beffroi de l’Hôtel de ville ou bien encore au Musée des Beaux-Arts.
Celles des frères Coustou, sculpteurs majeurs du début du XVIIIe siècle, qui ornaient autrefois le piédestal de la première statue équestre de Louis XIV place Bellecour, furent alors choisies comme modèles pour le pont Lafayette.
« Le sujet [des sculptures] a paru bien approprié à l’emplacement du pont situé non loin du confluent du Rhône et de la Saône. En plaçant ces reproductions dans un endroit bien en évidence, on contribue à vulgariser des œuvres d’art remarquables. L’emplacement qu’occupent les statues n’étant pas à l’abri des crues, il a paru convenable d’y placer des reproductions pouvant être facilement reconstituées en tout ou partie au moyen de moulages en plâtre, au lieu d’y mettre des œuvres d’art originales. »
« Les statues […], exécutées par M. Durenne, fondeur à Paris, ont coûté 28 000 francs, non compris le transport mais y compris la pose. L’administration a fourni les moulages en fonte, qui ont présenté des difficultés particulières par suite de l’impossibilité où on était de déplacer les œuvres originales ; ces moulages ont coûté environ 10 000 francs et ont été exécutés avec succès par M. Aubert, sculpteur. »
Les piles du pont furent donc ornées de « reproductions agrandies des statues, dans la proportion de 1,4 à 1.»
Mais où se trouvaient les œuvres originales ?
Des œuvres originales prestigieuses
Les deux sculptures originales, en bronze, avaient été installées en 1721 sur le piédestal supportant la statue équestre de Louis XIV place Bellecour.
Il s’agit donc des allégories du Rhône, à l’est, côté Rhône, et de la Saône, à l’ouest, côté Saône.
La première, sculptée par Guillaume Coustou, représente le Rhône sous les traits d’un vieillard barbu couronné de pampres et d’épis de blé, allongé sur un lion couché, la main gauche posée sur un aviron, une touffe de joncs à sa gauche. La patte avant droite du lion repose sur un poisson, des fruits et des légumes.
La seconde, sculptée par Nicolas Coustou, frère aîné de Guillaume, représente la Saône sous les traits d’une femme nue couronnée de fleurs, d’épis et de joncs, allongée sur un lion couché, le bras gauche appuyé sur un tronc d’où sort une corne d’abondance laissant échapper les produits de la nature.
La Révolution vint démembrer ce trio. A la suite du décret de l’Assemblée législative du 14 août 1792 « relatif à la destruction des monuments susceptibles de rappeler la féodalité » [5], la statue de Louis XIV est déposée le 28 août pour être fondue. La veille, sur les instructions du maire Louis Vitet, le couple fluvial avait été enlevé et mis à l‘abri dans l’atrium de l‘hôtel de ville de Lyon…
Ce n’est qu’après un exil de 165 ans qu’il fait le chemin inverse pour retrouver sa place initiale : le 21 février 1957, les deux statues quittent l’hôtel de ville sous la neige [6] et le 23, elles sont réinstallées aux côtés de Louis XIV.
En mars 2021, fragilisés par les intempéries, les deux bronzes doivent être mis à l'abri et rejoignent la collection permanente du Musée des Beaux Arts de Lyon.
Mais revenons aux statues du pont Lafayette…
Si les jumelles du pont Lafayette semblent avoir relativement bien résisté aux crues de 1910, elles ont également eu la chance de survivre à la Seconde Guerre mondiale.
Fuyant Lyon en septembre 1944, les nazis détruisent les ponts. Le 2 septembre, le tablier central du pont Lafayette s’effondre. Par chance, les piles ne subissent aucun dégât. Les statues sont intactes.
Pas sûr qu’elles existeraient encore si les engins explosifs de la Seconde Guerre mondiale retrouvés sous le pont en 2011 et 2015 avaient fonctionné…
Vous l’aurez donc compris, il est inutile de se tordre le cou ou risquer de réveiller la mâchecroute en osant s’aventurer sur les eaux boueuses du Rhône pour contempler les sculptures du pont Lafayette en toute sécurité. Il suffit de se rendre au cœur de la Presqu’Ile, au Musée des Beaux Arts de Lyon…
- [1] Contrairement à ce qu’avancent certaines sources, la dénomination de Lafayette n’a pas été accordée par l’ordonnance du Roi du 14 janvier 1831, celle-ci portant uniquement sur « les tarifs de péage sur les ponts Morand et de la place du Concert à Lyon » (Bulletin des lois de la République française, série IX, n° 80-154, AML 2C/400132/84 p. 362).
- [2] Bulletin des lois de la République française, série XII, n° 247-419 (AML 2C/400132/296 p. 124)
- [3] http://www.fondsenligne.archives-lyon.fr/ark:/18811/f82eed70c6d5683242f0af7d960cd7e5 (AML 1217W/137)
- [4] Les citations sont extraites de : H. TAVERNIER, "Reconstruction des ponts Morand et Lafayette sur le Rhône, à Lyon", in Annales des ponts et chaussées, septembre 1893, Ed. Vve Ch. Dunod, Paris, 1893 (AML 1C/1965).
- [5] « Considérant que les principes sacrés de la Liberté et de l’Égalité ne permettent point de laisser plus longtemps sous les yeux du peuple français les monuments élevés à l’orgueil, aux préjugés et à la tyrannie » et « que le bronze de ces monuments, converti en canons, servira utilement à la défense de la Patrie », le décret dispose que « toutes les statues, bas-reliefs et autres monuments en bronze, élevés sur les places publiques, seront enlevés par les soins des représentants des communes qui veilleront à leur conservation provisoire. »
- [6] Reportage de l’INA du 26/02/1957 : http://www.dailymotion.com/video/xfebvp_demenagement-des-statues-du-rhone-et-de-la-saone-a-la-place-bellecour_news
Aux Archives de Lyon
- GARDES (G.), "Le monument équestre de Louis XIV à Lyon"…, in L’art baroque à Lyon, Institut d’histoire de l’art (Université Lyon 2), Lyon, 1975 (cote AML : 1C/501232).
- GARDES (G.), Le monument public français, l’exemple de Lyon, thèse de doctorat d’état, Université Paris I, Lyon, 1987 (cote AML : 1C/502896)
- PELLETIER (J.), Les ponts de Lyon, Ed. Horvath, 1990 (cote AML : 1C/502219)
- Après les jours tragiques de septembre 1944, La reconstruction des ponts de Lyon, Association des anciens élèves de l’Ecole centrale, Lyon, 1945 (cote AML : 1C/707614)
- Une femme, deux fleuves, un lion, allégories et symboles relatifs à la Ville de Lyon depuis sa fondation jusqu’à nos jours, catalogue de l’exposition réalisée par les AML, en collaboration avec l’Institut d’Histoire de l’Art, Université Lumière Lyon 2, Palais St-Jean, 1990 (cote AML : 1C/600176/sal).
- Dossier documentaire sur la statue de Louis XIV place Bellecour (3Cp/131).
- Galerie d'images sur la statue de Louis XIV, réalisée par les AML.
- Inventaire des statues lyonnaises, Ville de Lyon, Direction des Affaires culturelles.
Et aussi…